UNE FERME VEGETARIENNE EN FRANCE
(article extrait de Campagnes Solidaires, juillet-aout 1992, sous le titre " sélection à la ferme ")
A la ferme Potier, la nature semble en paix, respectée, comprise. Mais, fausse note dans ce tableau harmonieux, là tout près, fume la centrale de Golfech. " On a beaucoup lutté pour empêcher ça ", raconte madame Potier. Son mari était président du comité anti-nucléaire de Golfech. Mais aujourd'hui la centrale est là, incontournable au-dessus de la ligne d'amandiers.
Et pourtant, la victoire d'Alphonse Potier est manifeste. Dans les beaux épis de son blé. La victoire patiente d'un humain qui a su transformer sa foi en la nature en une véritable démonstration scientifique. Faisant mentir les pronostics pessimistes de ses voisins, voilà maintenant vingt-deux ans qu'il produit fruits et céréales à Goudourville, Tarn-et-Garonne.
D'une manière toute personnelle, mais qui peut donner à penser à chaque cultivateur. Car cultivateur il l'est, exclusivement. Pas la moindre trace d'élevage sur son exploitation. Un choix qui a conditionné à la base les méthodes de travail de ce végétarien et agriculteur bio de longue date.
Sans bétail, pas de fumier. Or, A. Potier souhaitant pratiquer " une agriculture autonome au maximum " refuse l'idée d'acheter des fertilisants, même biologiques.
Seule solution, la paille et donc un blé haut qui en fournisse en grande quantité.
Il pratique aussi la jachère tournante et se souvient à ce propos des premières fois où il a laissé la luzerne sur place, " au grand désarroi de mes voisins. Ils étaient fous ! Pendant plusieurs jours, certains ne me disaient pas bonjour. "
Aujourd'hui, il produit sans irrigation ni aucun fertilisant 40 à 50 quintaux de blé à l'hectare dans une région où la moyenne est de 60 quintaux. Grâce à un travail patient et passionné de sélection.
Première étape dans cette aventure génétique, en 1974 un salon d'agriculture biologique à Grenoble. " Il y avait, raconte A. Potier, un bouquet de blé sec avec de très beaux épis. J'ai réussi à retrouver le producteur. Il s'agissait d'un blé Pechvèque. En me le donnant, il m'a dit : attention, il n'est pas pur, il y a d'autres variétés mélangées.
Le Pechvèque n'était pas, à l'expérience, adapté à ma terre, il s'échaudait. Mais au milieu se trouvaient effectivement des épis d'autres variétés. J'en ai reconnu une que j'avais cultivé en 1960 : le Talisman. Elle était alors distribuée par Lemaire qui, déjà à cette époque, la présentait comme un blé ancien. "
C'est à partir de ces premiers épis qu'A. Potier va faire un travail de sélection. Pour cela, il tire son savoir d'un ouvrage qu'il a trouvé sur les rayons du bibliobus qui passe dans le village. Livre introuvable dont il recopie patiemment l'essentiel dans un gros cahier : Ce que tout agriculteur doit savoir. Le livre du cultivateur, par l'Évêque et Perrault aux éditions Flammarion.
" J'ai choisi un épi Talisman et, à partir des indications du livre, j'ai fait une lignée. "
La première année, il choisit une plante et sur celle-ci le plus bel épi dont il sème les grains du centre. La seconde année, il ressème la totalité de cette première production, etc.. La cinquième année, toute sa récolte de blé (5 hectares) est issue de ce premier épi. Cinq hectares d'un beau blé, productif, haut comme un seigle et fournissant donc beaucoup de paille pour nourrir la terre. Il est légèrement plus tardif (une dizaine de jours) sans que cela pose problème " parce qu'il est résistant à l'échaudage ". " Il commence doucement. En avril, il semble avoir un mois de retard qu'il rattrape vite lorsque arrive la chaleur. "
Comble d'ironie, à cette période il devient " bleu " comme un blé qui aurait reçu de l'azote ! Il est peu gourmand en eau et même l'an dernier, malgré la forte sécheresse, il a bien poussé. A. Potier a refusé de participer au programme d'irrigation sur son secteur. " Pour moi-même, j'aurai pu. Mais parce que je me sens solidaire de l'agriculture et du rural, j'ai refusé. L'avenir est trop incertain pour se lancer dans des investissements toujours plus lourds pour les agriculteurs, qui les obligeraient à encore augmenter leurs rendements. "
La suite lui a donné raison puisque, bloqués par des difficultés de commercialisation des productions mises en route grâce à l'irrigation (tomates de conserve), ces paysans ont manifesté devant la Préfecture pour ne pas avoir à payer l'irrigation.
Dans ces conditions de culture sans eau ni fertilisant le " Talisman-Potier " a un excellent rendement, comparé à d'autres variétés placées dans ces mêmes conditions.
Deux preuves de cette différence :
Du blé " Capitol " semé dans la même terre n'a produit que 20 quintaux à l'hectare. " Peut-être, précise A. Potier, qu'il donnerait plus aujourd'hui parce que le sol est meilleur. Je suis persuadé que le taux d'humus a augmenté. Le blé a de plus en plus tendance à verser, c'est signe d'une terre fertile. "
La seconde vérification, il l'a faite en empruntant plusieurs variétés de blé à un champ expérimental. " J'ai semé une dizaine de mètres de chaque variété. Mon blé était beau, les autres à côté étaient minables. Sans fertilisant, leurs résultats sont très mauvais. J'avais donc sélectionné un blé bien adapté à ma terre et à ma façon de travailler. "
L'exploitation d'Alphonse Potier a 25 hectares de Surface Agricole Utile (dont 5 en location).
Cinq hectares de blé, autant d'orge, avoine ou tournesol. De la luzerne de semence. Des fraises et des cerises. Deux hectares de noisetiers, un hectare de noyers (bois et fruits) et 1,3 hectares d'amandiers. Le tout en agriculture biologique (mention FESA), ce qui permet de retirer un meilleur prix des produits. Le revenu dégagé se situe entre 70 000 et 80 000F par an (valeur 92), avec un emprunt finissant de 10 000F d'annuité, fait pour l'achat de la propriété.
Amandes, noisettes, noix, sont commercialisées en vente directe et leurs acheteurs demandent souvent de " vraies " pommes. A. Potier est donc en train de rechercher une variété de pommier qui, elle aussi, corresponde " à sa façon de travailler " : qui ne nécessite pas d'échelle pour le ramassage, mais à racines profondes et qu'il plantera à bonne distance. " Je vais pratiquer un double greffage, le premier sur un porte-greffe à racines puissantes, le second sur un porte-greffe à faible végétation. "
Les prochaines plantations de cerisiers aussi, il compte bien les faire avec un produit de la sélection maison qui ne nécessite pas d'échelle pour la cueillette.
Il travaille d'autre part sur les pruniers : " l'INRA greffe des amandiers sur des pruniers. La prune est connue pour résister au sec, mais pas autant que l'amandier. Je vais donc faire l'inverse pour faire bénéficier les prunes de cette qualité de l'amande. "
La fertilisation des sols en agriculture végétalienne
La fumure organique à l'engrais vert ou avec de l'humus constitue une excellente méthode pour obtenir des légumes de bonne qualité.
L'engrais vert s'obtient à partir de plantes cultivées dans le seul but d'enrichir la terre. Pour cela, on choisit par exemple le trèfle incarnat, la luzerne, la vesce, ou la moutarde.
L'humus est une épaisse couche de substances végétales en décomposition qui recouvre le sol. Son rôle consiste à nourrir la vie du sol tout en protégeant celui-ci des rigueurs climatiques telles que les sécheresses ou les violentes précipitations atmosphériques.
Outre l'engrais vert, l'humus, et bien sûr le simple compost de produits végétaux, on a également la poudre de roche et le fumier de déjections humaines comme sources de matières nutritives. Ce dernier peut apporter beaucoup, surtout par sa partie liquide : l'urine. S'il est bien composté, le fumier de déjections humaines (végétaliens) ne représente qu'un très faible risque pour la santé publique et est nettement moins dangereux que l'utilisation à grande échelle de toutes sortes de fumiers et purins provenant des animaux d'élevage. Les déchets de digestion humains, contiennent d'importantes matières nutritives pour les plantes. Pour le maintien de l'équilibre de la chaîne alimentaire, il est nécessaire de restituer au sol, les éléments utilisés pour les cultures. Peut-être certains ont-ils des appréhensions de savoir que du compost de déjections humaines est utilisé pour fertiliser les sols, mais il convient de constater que des humains paient plus cher une alimentation " biologique " fertilisée avec des déjections d'animaux non-humains. Où est la différence fondamentale ? Actuellement, d'ailleurs, des boues de stations d'épuration sont déjà utilisées dans l'agriculture intensive. Hélas, ces boues contiennent d'autres produits que des déjections d'humains comme des métaux lourds et ceci est un problème.
L'agriculture vegan peut très bien utiliser des engrais azotés de synthèse dans le cas où ils ne contiennent pas de produits d'origine animale, de même que toutes préparations ne contenant pas de produits d'animaux, non-testées sur les animaux et n'entraînant pas de mort d'animaux. Seuls des insecticides pouvant tuer des insectes sont parfois utilisés en agriculture intensive (les herbicides tuent les herbes et les fongicides préviennent les maladies ainsi que le développement de champignons microscopiques). Ils pourraient être remplacés par des répulsifs par exemple. Des produits destinés à tuer des animaux ne sont généralement pas utilisés, si ce n'est pour protéger les récoltes stockées. Là aussi des répulsifs peuvent être utilisés, ainsi que des bâtiments en bon état, n'offrant aucun abri et possibilité d'entrer aux animaux.
Toutefois, le travail des sols et les récoltes mécanisées peuvent tuer des animaux et des insectes par accident. Des méthodes ne nécessitant pas de travail des sols (notamment, méthode de M. Fukuoka : enrobage des graines dans des boulettes de terre et succession de cultures particulières sur les champs) et des méthodes de récoltes plus attentives (manuelle) peuvent être imaginées. Il serait actuellement difficile de les développer. Le plus simple serait, peut-être, de consommer uniquement des produits d'arbres (fruits et noix) qui ne nécessitent pas de travail du sol, si ce n'est lors de la plantation. Dans ce sens l'alimentation frugivore peut trouver une justification.
Même s'il n'est pas interdit de réfléchir, il est clair qu'un mode de vie ne provocant aucune destruction de vie d'animaux ou d'insectes est un idéal, il faut bien le garder à l'esprit. Nous ne pouvons que tendre vers ce but du mieux que nous pouvons, en faisant avec les moyens disponibles actuels. Il existe dans tous les cas une grande marge entre n'avoir d'attention que pour sa propre personne, se moquer éperdument des animaux tués (aussi bien que de l'environnement) et faire son possible pour promouvoir un mode de vie le plus vegan possible. Ne rien faire d'autre que perpétuer la barbarie est une position facile à tenir pour tous les donneurs de leçon et autres suiveurs qui se complaisent par leur nombre.
Des exemples de fermes végétaliennes actuelles
Des fermes végétaliennes existent à travers le monde. Voici l'exemple de trois d'entre-elles :
- Au Danemark une entreprise d'environ 12 hectares où sont cultivés légumes et céréales. Les substances nutritives sont apportées au sol par du compost végétal et les couches sont ensemencées avec de l'engrais vert. Le plus souvent, on utilise pour cela de la moutarde qu'on ne moissonne pas. Les matières organiques s'incorporent ainsi complètement au sol. En automne et au printemps, on récolte aussi des algues marines qu'on répand sur les champs.
- En Autriche, une petite exploitation d'environ 2,5 hectares réunit la culture de légumes et de fruits oléagineux. Les matières nutritives sont apportées au sol sous forme d'humus, de compost végétal (entre autres d'ortie, de consoude et de broussailles provenant du verger), d'excréments humains compostés, et de plantes cultivées uniquement pour la fumure (épinards, féveroles). Il y a beaucoup de haies vives. Celles-ci contribuent à maintenir l'équilibre écologique (en favorisant la nidification des oiseaux, etc..) ; elles protégent la couche d'humus contre l'érosion par les intempéries et abritent les cultures contre les vents trop vigoureux, trop chauds ou trop froids.
- Aux USA existe une exploitation vegan d'environ 40 hectares dont une grande partie boisée. Une surface de 0,4 hectare est réservée au jardinage, où on cultive sur couches. Le verger ainsi qu'une parcelle cultivée de céréales occupent chacun un hectare. La fumure par engrais vert et la pratique de la mise en jachère jouent un rôle important pour la fertilisation.
Sur les 140 couches que compte le jardin potager, on en sème toujours 20 avec du trèfle incarnat laissé à la même place pendant deux ans, période durant laquelle aucune plante n'y est directement cultivée pour l'alimentation.
La rotation des cultures joue également un rôle important : des légumes sont cultivés sur une parcelle pendant la première année ; les céréales au cours de la deuxième, et des papilionacées durant la troisième (fève, par exemple). Associée à certaines bactéries, cette troisième catégorie de plantes apporte de l'azote au sol.
Ces trois exploitations ont toutes des résultats particulièrement positifs.